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par sa servante, et brise ses chaussures ; ne part jamais. Sa femme ne l’imite pas.

Nous, nous y allons aux manœuvres ; marches, service en campagne, etc. J’ai été enfermé si longtemps dans les écoles, dans les grandes villes, que, lorsque je me suis trouvé en pleins champs, j’ai perçu comme une sensation de délivrance ; ç’a été pareil à l’impression que produit la bouffée d’air frais qui vous arrive, en même temps que la lumière, au sortir d’un long tunnel. Tout m’a semblé nouveau, frais, sain, vivant d’une vie incomparable ; j’ai été pris par la beauté des paysages, l’étendue du ciel, l’odeur de la terre et des plantes ; j’ai senti d’une façon très confuse, mais avec une force intense, que le sol de la Patrie, c’était la Patrie, toute la Patrie. Oui, j’ai senti cela sans le comprendre ; cela que je devais raisonner et comprendre plus tard. J’ai senti que l’armée, l’Armée nationale d’aujourd’hui, avait une mission ; et que cette mission consistait à faire jaillir de la terre, où l’a enterrée le mensonge des voleurs, la grande idée de la Patrie réelle. J’ai eu un moment de profond enthousiasme pour la profession des armes.

Tout cela, très vite, est tombé. Les besognes embellies un moment par l’imagination sont rapidement devenues machinales, routinières. Les paysages, les spectacles variés offerts par la nature, ont cessé de présenter aucun intérêt. L’illusion s’en est allée, la réalité demeure. Ou bien, qui sait si ce n’est point la réalité qui s’en va et l’illusion qui demeure ? L’illusion compacte, sournoise, qui a pris corps et s’affirme en certitude triomphante, qui s’incarne en les mille aspects de la banalité, en les cent mille figures de la laideur ? Qui siffle, geint, ricane et pleurniche partout, froid et gluant mensonge attiédi et solidifié par les temps, les temps d’ignorance, les temps de sottise, les temps de lâcheté… N’est-ce pas une réalité, cette France qu’on rêve, d’où seraient bannies la