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De la caserne, par conséquent, je ne dirai pas grand-chose. Ce qu’on en ignore, du reste, c’est juste ce qu’on n’en veut point savoir. Moi, de plus, je ne suis soldat que par définition générale ; officier, pas troupier. J’ignore donc la caserne ; je n’en connais guère que l’aspect extérieur. Je la soupçonne horrible ; je la suppose infecte. Je sais que lorsque nous visitons les chambrées, nous autres chefs, à certains jours fixés d’avance, nous ne pouvons nous donner qu’une idée très réduite de leur abjection réelle. La caserne, étant donnés ses indéniables résultats : abrutissement, avilissement, épidémies et taux exagéré de mortalité, pourrait apparaître à un cerveau mal fait comme le conservatoire de la vermine morale, comme l’antre du typhus. Mais, en créant l’esprit de servilité, elle tue l’esprit militaire réel. L’impression qu’elle produit sur les hommes qu’on y jette chaque année est plutôt sinistre. L’abattement, le découragement qui s’emparent des conscrits dès leur arrivée au corps ne peuvent être niés. Pour un rien, pour la cause la plus futile, sans cause précise, ils se tuent ou désertent ; il y a, en moyenne, vingt mille désertions par an ; le nombre des insoumis est considérable. Mais ne sont-ce pas là des maux nécessaires ?

Discipline, astiquage, parades. Voilà des modes, peut-être pas les plus hauts, de l’activité humaine. Méchanceté du cadre supérieur pour le cadre inférieur ; méchanceté du cadre inférieur pour la troupe : méchanceté du vieux soldat pour le jeune soldat. Comme le jeune soldat devient à son tour le vieux soldat, il y a compensation. Labeur dérisoire, mais acharné. Le travail de l’armée est irréel, vain ; mais il est accompli avec un incontestable sérieux. Certaines besognes imposées aux soldats, obligatoires bien que peu réglementaires, sont cependant effectives : il faut avoir le courage de l’avouer. Ils opèrent le déménagement des officiers, de leurs familles,