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français, au bout du salon ; bien français, et même bien parisiens ; un romancier, cochon triste ; un vaudevilliste, truie lugubre. Plus loin, le peintre Coquard, qui cuisine à l’huile la gloire des vaincus, concurrent souvent heureux de la femme Glabisot. Et puis, le Dr Kaulbach ; de celui-là, on ne sait positivement rien, sinon qu’il a le diabète. Ça, c’est certain. On dit que c’est Clemenceau qui le lui a donné. Ce n’est pas sûr. C’est plutôt sucré. J’aperçois même un socialiste, à côté du piano ; n’ayez pas peur ; c’est un socialiste qui a donné pour base à son socialisme la suprématie nécessaire de l’Armée et du Capital.

— Et patriote aussi, probablement ?

— À tout casser. Ce sont des patriotes à tous crins, les possédants, les arrivés, les nantis. Ils ont camouflé le salon de leur lupanar en salle d’attente ; prétendent attendre un train pour l’Allemagne, le train de la revanche, qui ne partira jamais, qu’ils savent ne point exister ; et ils ont un petit instrument qui fait grand bruit, qui souffle et qui crache, et qui siffle de temps en temps ; et le bon peuple, auquel l’entrée de la confortable salle d’attente est interdite, croit à l’existence d’un énorme engin, frémissant et sous pression ; et il paie joyeusement, le bon peuple, pour l’alimentation et l’entretien de la machine qu’il suppose — ou plutôt, car il faut dire tout, — qu’il fait semblant de supposer.

— Et l’Armée existe pour défendre tout ça ?

— Oui. Et surtout — écoutez-moi bien — pour être défendue par tout ça.



Je ne peux pas dire que j’étais positivement gai en regagnant la maison. Malgré des essais de flirtation assez bien accueillis par Mme Triboulé, malgré les amabilités