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Avant Jean-Baptiste, mon père a eu bien des ordonnances qui ne valaient pas cher. Le brasseur qui a précédé Jean-Baptiste, par exemple, était un Alsacien qui hachait de la paille à bouche que veux-tu, et qui m’appelait monsieur Chan. Mon père ne l’a pas gardé longtemps, heureusement ; il déplaisait à tout le monde. On aime si peu les Alsaciens ! On les méprise tellement ! Ils sont si gauches, si lourds, si maladroits ! Ils manquent à un tel point du tact le plus élémentaire ! Ce sont de faux Allemands et ils ne seront jamais Français. On n’aime pas les amphibies, en France, les êtres qui ne sont ni chair ni poisson, il faut être, catégoriquement, l’un ou l’autre. Un franc Allemand, un Cosaque bon teint, même, ne déplaisent point ; au contraire. C’est ainsi qu’on admire les Prussiens ouvertement, et même tapageusement. Déjà, il y a deux ans, en 67, ils ont été les héros d’une réception offerte à l’occasion de l’Exposition ; le roi Guillaume et Bismarck ont reçu un de ces accueils qui engagent les gens à revenir. On s’est extasié sur la bonne mémoire du roi qui, d’un faubourg de Paris, avait désigné sans hésitation l’endroit où il avait campé, en 1814, auprès de Romainville.

— Il y a un fort là, aujourd’hui, avait expliqué le général français qui accompagnait Sa Majesté.

Et le roi avait souri, avait demandé des renseignements sur le fort, renseignements qui lui avaient été obligeamment fournis. Pourquoi pas ? Est-ce que la France pourrait avoir quelque chose à redouter de la Prusse ? Les Français ne sont pas des Autrichiens, Dieu merci ! et les Sadowa ne sont pas faits pour eux. Aussi, lorsque le général de Moltke, l’année dernière, a visité incognito la frontière de l’Est, étudiant les positions et prenant des notes, on s’est bien gardé de le gêner ; on l’a fait suivre par quelques agents auxquels la plus grande discrétion avait été recommandée, et voilà tout. La