Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Que je t’aie rencontré tout à l’heure ? Voyons, me crois-tu assez godiche pour ne pas avoir deviné que tu avais des dettes ? Tu ne m’avais jamais parlé de rien ; c’était assez pour exciter ma méfiance ; je n’ignore pas non plus que c’est au moment de la nomination que les créanciers des Saint-Cyriens exigent le payement de ce qui leur est dû. Quand j’ai su que tu sortais ce matin, je me suis donc douté de quelque chose ; je t’ai fait suivre par mon ordonnance, qui est revenu me donner l’adresse de la maison où tu étais entré. J’ai su à quoi m’en tenir. Tu connais le reste… À propos, continue-t-il, en tirant de sa poche les billets de banque de l’usurier, il faut que nous partagions ; voilà mille francs. Ça te suffira pendant quelque temps. J’en garde 2.000 pour moi. Je dois te dire que ça tombe à pic ; je n’avais plus le sou. Par la même occasion, il faut que je t’apprenne pourquoi, jusqu’à présent, je ne t’ai pas encore rendu mes comptes de tutelle. J’ai mangé ton argent. Tout : billets, or, argent, et même le cuivre. Je ne sais pas où ça passe. Ça ne fait rien ; je te rembourserai, à un sou près. Il te revenait 400.000 francs, environ. Est-ce que tu serais content de toucher ces jours-ci 100.000 francs là-dessus ?

— Ma foi, dis-je, un peu rasséréné par cette offre inespérée qui corrige l’amertume de l’aveu qu’on vient de me faire, ma foi, certainement ; mais si tu as…

— J’ai tout mangé, oui, mais j’ai gardé une poire pour la soif. Une bonne poire ; M. Freeman. Tu l’as bien négligé, ce pauvre vieux qui t’aimait tant ; tu l’as bien abandonné ; vous êtes comme ça, vous, les jeunes gens. Et si je ne m’étais pas trouvé là, moi, pour lui écrire, pour aller le voir, pour t’excuser auprès de lui et mettre ta négligence sur le compte de tes études, il t’aurait sans doute oublié dans son testament…

— Est-ce que M. Freeman est mort ? demandé-je d’une voix basse, étranglée par un gros regret.