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les turcos. Lycopode aime les turcos ; elle dit que c’est pas vrai ; mais c’est vrai. Moi aussi, j’aime les turcos. Mais Jean-Baptiste ne les aime pas. Il dit qu’ils sont vilains comme le diable, qu’ils se débarbouillent dans le pot à cirage, qu’ils mangent trop de réglisse, et toutes sortes de bêtises comme ça. Lorsque je parle de leurs beaux uniformes, de l’éclat de leurs dents blanches et des grands feux qui éclairent si étrangement leurs faces noires, Jean-Baptiste hausse les épaules. Tout ça, c’est parce qu’il est jaloux de Lycopode, et parce qu’il sait que Lycopode pense comme moi au sujet des turcos, sans pourtant oser l’avouer. Une belle fille, Lycopode, grande et forte, avec de grosses joues rouges sur lesquelles les baisers claquent, un gros chignon de cheveux noirs et, sur la poitrine, des boîtes à lait numéro un, comme dit Jean-Baptiste.

Jean-Baptiste est l’ordonnance de mon père, l’ordonnance en titre, l’homme de confiance. Il aura fini son congé dans un an environ, à l’automne de 1870, mais peut-être qu’il restera au régiment ; ça dépend de Lycopode ; si elle veut lui promettre de se marier avec lui, Jean-Baptiste reprendra du service, remplacera un homme appelé sous les drapeaux. Jusqu’ici, Lycopode n’a rien voulu promettre ; elle prétend que Jean-Baptiste est beaucoup trop jeune pour elle ; en réalité, il aura bientôt vingt-sept ans et elle n’en a pas encore trente. La différence n’est pas considérable, et il me semble que Lycopode pourrait bien passer là-dessus, d’autant plus que Jean-Baptiste est son pays, qu’il est né en Bourgogne, comme elle. À l’occasion, je fais mon possible pour la décider ; car je regretterais le départ de Jean-Baptiste. Sait-on qui le remplacerait ? Une ordonnance modèle, capable de donner toute satisfaction, non seulement à son officier, mais au fils de cet officier, et à sa famille en général, ne se trouve pas tous les jours dans l’armée.