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fois vêtu en Saint-Cyrien, et je me dirige vers la rue de Rennes.

Il me faut d’abord attendre un bon quart d’heure dans l’antichambre de l’entresol luxueux qu’habite l’usurier ; le domestique me déclare que Monsieur est très occupé. Enfin, je suis introduit. J’expose à M. Lévy — un homme trapu, grassouillet, chauve, à la face jaune ponctuée d’une barbiche noire, aux yeux humides et ronds, — l’objet de ma visite. M. Lévy secoue la tête d’un air désenchanté. Il n’aurait jamais cru que je viendrais, moi, jeune homme de si bonne famille et fils d’un général, lui demander une chose pareille. Il en est vraiment stupéfait. Renouveler mes billets ! Mais, ai-je seulement réfléchi à tous les sacrifices qu’il s’est imposés pour m’avancer les sommes qu’il m’a prêtées ? Ne puis-je comprendre combien il a hâte de rentrer dans ses fonds ? La vie est si dure, les affaires si difficiles ! Non, non, tout renouvellement est impossible.

J’insiste, plaidant ma cause avec éloquence. Le prêteur insiste aussi, avec une éloquence non moins grande. Pourtant, après vingt minutes de discussion, il finit par s’humaniser. Il me déclare qu’il consent à reporter l’échéance à trois mois, à condition que je signe de nouveaux billets qui porteront la somme due, intérêts compris, au chiffre de 5.000 francs. Je me récrie ; mais le préteur est inflexible. Il me signifie que c’est à prendre ou à laisser. Tout en parlant, il avance sur le bureau, derrière lequel il est assis, d’oblongs papiers timbrés. Quant à moi, je me décide à m’asseoir de l’autre côté du bureau et à prendre une plume. Mais, tout à coup, elle me tombe de la main, et je me lève. Un grand bruit vient de s’élever dans l’antichambre, et les éclats d’une voix, d’une voix que je connais bien, parviennent jusqu’à nous.

— Tonnerre de Dieu ! Laissez-moi entrer, mon garçon ou je vous passe sur le ventre !