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valent mieux qu’une, et l’on ne sait jamais de quel côté le vent peut tourner. Chaque jeudi et chaque dimanche, je vais donc faire une visite à l’abbé ; après quoi, je vais passer le reste de la journée chez M. Curmont.

Au début, j’allais assez souvent voir aussi M. Freeman, qui m’aime tant, et auquel ma présence causait visiblement un grand plaisir. Il me parlait de la France qu’il chérit toujours de la même passion idéale ; il me parlait de la Revanche, et me disait qu’il serait heureux de ne pas mourir avant de l’avoir vue. Mais j’ai dû cesser mes visites, qui me compromettaient ; M. Curmont et l’abbé me l’ont fait comprendre. M. Freeman, dit l’un, est un vieil enragé qui ne rêve que plaies et bosses ; c’est, dit l’autre, un hérétique.

M. Curmont ne semble avoir gardé rancune ni à mon père ni à moi des mauvais propos qu’il a tenus sur notre compte. Mme  Curmont est malade, usée, épuisée par son travail incessant de tant d’années ; Albert Curmont n’est encore rien dans le gouvernement ; c’est rigolo ; mais ça viendra sûrement avant peu. Ce sera rigolboche. En attendant, il a la bouche pleine des prouesses qu’il a accomplies durant la guerre ; on ne se figure pas combien sa conduite a été remarquable dans ce camp qu’il a formé en Bretagne. Quant à Adèle, c’est une belle jeune fille, intelligente et fine, que mes manières brutales choquent un peu, mais qui me témoigne beaucoup d’affection. Je sens aussi quelque chose pour elle dans le coin de mon cœur ; et je déplore, d’avance, sa vie qui sera sacrifiée, ainsi que, l’a été celle de sa mère, à de soi-disant devoirs de famille.

M. Curmont me parle souvent de politique. Il me prône l’excellence des républicains. Pourtant, il me dit qu’il faut me méfier des exagérations et me garder des extrêmes.

L’abbé me parle souvent de politique et de religion. Il me prône la grandeur du trône et de l’autel. Pourtant, il