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raux empanachés, la soie des toilettes et l’or des uniformes, les dentelles, les Cent-Gardes, les plumes et les diamants, les reflets des ombrelles et l’éclat des lames de sabre ! Oh ! si je me souvenais ! Comme si l’on pouvait oublier cela, comme si ce défilé prestigieux, quand on l’a vu avec des yeux d’enfant, ne devait pas rester à jamais dans la mémoire, pour ternir et ridiculiser, du pouvoir seul de son évocation, les parades chaotiques des saltimbanques libérâtres ! Et j’ai avoué à M. Gabarrot que j’avais pensé, souvent, qu’il me serait peut-être donné un jour de figurer en bonne place dans un pareil cortège.

— C’est très possible, répondit-il ; tu peux devenir général, ministre, tout ce que tu veux. Il s’agit seulement de faire ton devoir, et tout ton devoir.

J’ai demandé ce que c’était, exactement, que faire son devoir. Le colonel a réfléchi un instant, et a répondu :

— C’est bien servir l’Empereur

Mais, peu après, il s’est repris.

— Non. C’est bien aimer la France, toujours ; même quand il n’y a plus d’Empereur. Seulement, alors, il y a des fois que c’est bougrement difficile !

Le soleil baissait ; il faisait presque froid sous les jeunes frondaisons des vieux arbres. Nous avons été nous asseoir, un instant, près du mur de l’autre terrasse, dans ce coin abrité qu’on appelle la petite Provence. J’ai demandé au colonel de me raconter une histoire, et il m’en a raconté une, superbe ; la plus belle, je crois, qu’il m’ait jamais dite. C’était une histoire de Russes. L’Empereur Napoléon Ier avait battu les Russes et poussait leur armée vers une rivière. (Je ne sais plus qu’elle rivière c’était, mais ça ne fait rien.) Il avait donné l’ordre au régiment de dragons du colonel Gabarrot de passer la rivière à gué, en amont, et d’aller attendre l’ennemi sur l’autre bord.

— Nous arrivâmes, dit le colonel, juste au moment où les premiers de ces coquins qui s’étaient jetés à la nage