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présente situation d’esprit que par l’évasion, l’évasion physique.

J’attends l’arrivée de mon oncle le lendemain soir, épiant sa venue de moment en moment ; je l’attends encore le surlendemain matin alors que les hommes noirs sont déjà venus pour les préparatifs des funérailles, alors que mon père explique aux amis et connaissances, qui arrivent avec des figures sérieuses, que ma grand’mère est morte subitement, d’un coup de sang… Comme l’heure de la levée du corps va sonner, je me décide à demander à mon père s’il sait quand mon oncle Karl doit venir.

— Il ne viendra pas, répond-il. Je ne lui ai télégraphié qu’hier soir. J’avais oublié…



J’avais rêvé d’une évasion physique. Cette évasion matérielle n’étant pas possible, l’évasion morale n’est pas possible non plus. Du reste, je n’essayerai même pas ; ce serait trop difficile. Je comprendrai, mais je ferai semblant de ne point comprendre, ainsi que presque tout le monde. Je resterai dans le rang ; dans la geôle dont les barreaux furent poinçonnés à Francfort, le 10 mai dernier, et scellés avec le sang des pauvres quinze jours après. On élabore de nouveaux règlements pour l’établissement ; les gardes-chiourmes, depuis leur victoire à Paris, ont repris de l’assurance ; les forçats ont repris leur chaîne, à laquelle l’impôt a ajouté plusieurs boulets ; les partis politiques continuent leurs promenades en queue de cervelas. L’Assemblée Nationale « élue dans un jour de malheur » siège à Versailles ; elle représente la France, « qui veut la paix », et elle « libère le territoire » à grands coups de milliards.

Il y a pourtant une portion du territoire qu’on ne libé-