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et a fait deux pas vers la porte. Puis, il s’est arrêté ;

— Pas un mot là-dessus, mon enfant ! m’a-t-il dit en posant sa main sur ma tête. Pas un mot ! J’ai les épaulettes de colonel, tu vois ; mais ces épaulettes ne tiennent pas ; il y a tant d’autres colonels qui sont revenus d’Allemagne ou qui vont en revenir, et qui redemanderont leurs places ! On me rétrogradera si je n’ai pas l’appui de gens bien en cour. Il y a toujours une Cour en France ; à présent, c’est la Cour des Miracles… M. Curmont, son fils et ses amis, sont de la Cour ; alors… Notre intérêt nous indique la voie à suivre. Plus mon épaulette sera grosse, plus tu auras de facilité à obtenir la tienne et à la voir grossir… D’ailleurs, reprend-il d’une voix ironique, il vaut mieux ne point s’inquiéter des propos qui sont tenus derrière votre dos ; s’ils sont tenus en face, c’est différent. Au fond, ce qu’a dit ce sacripant prouve simplement qu’il y a quelques mois nous n’avions pas les mêmes opinions politiques. Il était républicain, je ne l’étais pas. Aujourd’hui, je le suis autant que lui. Je l’ai été après lui, et je cesserai probablement de l’être avant lui. Mais pour le moment, puisque nous sommes en république, vive…

— Vive la République ! dis-je.

— Non ; pas encore, mon garçon. On n’est sûr de rien. Vive la France ! et vive l’Armée ! — en attendant.

En attendant quoi ? Des gens disent que l’Empereur va revenir ; d’autres affirment que c’est le comte de Chambord, qui ramènera le drapeau blanc. Des histoires commencent aussi à circuler au sujet de l’héroïsme des troupes françaises pendant la guerre ; j’ai plusieurs fois entendu parler avec admiration de la belle défense qu’opposa mon père, à Nourhas, aux envahisseurs. Mon père est assez réservé, à ce sujet. Par modestie, certainement. Mais je ne m’explique pas qu’il pousse, sur ce point, la discrétion aussi loin que mon oncle Karl. Il a paru très