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Je me mets à rire. Jean-Baptiste, sous-officier ! Quelle idée ! Et j’explique à mon oncle que Jean-Baptiste est l’ordonnance de mon père.

— Ah ! oui, je savais bien que je l’avais vu quelque part, ce garçon-là ! répond mon oncle. Eh ! bien, il était sergent, ton Jean-Baptiste. Et je te donne ma parole que c’est un brave homme.

Mon oncle semble réfléchir un instant, et je m’attends à d’intéressantes révélations ; mais il ajoute simplement :

— Oui, c’est un très brave homme.

Et, malgré tous mes efforts, il m’est impossible d’en tirer autre chose. Du reste, mon oncle semble, ainsi que beaucoup d’officiers allemands, fatigué de la guerre au delà de toute expression. Moltke, paraît-il, déclarait l’autre jour qu’il n’aspire qu’au repos et à la tranquillité sereine du Kapellenberg ; et que les nouvelles qu’il reçoit de son domaine sont comme des rayons de soleil dans la sombre et fiévreuse incertitude au milieu de laquelle il vit.

Et cette incertitude, lourde et angoissante, pèse sur tout le monde, Français et Allemands, pendant ces dernières semaines du siège de Paris. Le dénouement est prévu, inévitable ; et l’on sait bien que ce ne sont pas les canons qui maintenant tonnent sans interruption qui l’amèneront, mais seulement la famine dont l’ombre plane déjà sur la grande ville. On s’ennuie, on s’énerve. Et je pense que ce sont sans doute cette sorte de crispation morale, cette insurmontable lassitude qui se sont emparées de moi, qui m’ont rendu insensible à tous les incidents quotidiens qui ne peuvent pas concourir à la grande solution qu’on attend seule, anxieusement. Voilà pourquoi, sans doute, les figures de mon oncle et de ma grand’mère, en dépit de l’affection intelligente et de la tendresse qu’ils m’ont alors témoignées, de l’intérêt profond qu’ils m’ont inspiré, ne m’apparaissent pas aussi clairement, à cette époque, qu’à des périodes plus éloignées. Et voilà pourquoi, au risque