Il est peu probable que mon oncle prenne de nouveau part à la guerre. Le conflit est sur le point de se terminer, fatalement ; mon oncle, quelquefois, en donne les raisons. Il dit que la désorganisation de l’armée française est à son comble ; qu’elle ne lutte plus que pour le triomphe et l’établissement définitif des cabotins sanguinaires qui ont usurpé le pouvoir au 4 septembre ; qu’elle obéit aux ordres supérieurs d’un ministre de la guerre civile, ingénieur douteux qui n’a de génie que pour l’intrigue ; qu’elle est commandée par des chefs dont le seul mérite est de s’être faits les laquais des coryphées de la guerre à outrance, et que son écrasement final n’est qu’une question de jours. Il ajoute qu’il est vraiment pitoyable de voir les forces vives d’un grand pays comme la France sacrifiées à l’ambition stérile de politiciens de bas-étage.
Mon oncle, chose inespérée, nous a donné des nouvelles de mon père. À ce combat de Nourhas auquel il a été blessé, mon père était présent aussi. Il commandait l’extrême arrière-garde française ; il a reçu une légère blessure et a été fait prisonnier. Mon oncle pense qu’on l’a dirigé sur l’Allemagne ; aussitôt que possible, il prendra des informations à ce sujet.
C’est en vain que je presse mon oncle de questions sur ce combat de Nourhas ; que je cherche à le faire parler de mon père et de la défense courageuse qu’il a dû opposer aux troupes allemandes. Mon oncle fait des réponses brèves et vagues ; il prétend n’avoir assisté au combat que de loin, avoir été blessé au début de l’action, et n’en guère connaître autre chose que les résultats. Mes insistances restant sans effet, je prends le parti de me contenter, pour le moment, de ce qu’on veut bien me dire. L’idée me vient, cependant, de demander à mon oncle s’il n’a pas vu Jean-Baptiste, pendant le combat.
— Jean-Baptiste ? demande mon oncle. Jean-Baptiste ? Un sous-officier, n’est-ce pas ?