Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France. Les provinces occupées par l’ennemi sont les seules qui ne soient point en proie au chaos. Ailleurs, c’est un désordre effroyable, c’est l’anarchie. Les lois ne sont plus respectées ; les autorités ont disparu ou sont sans pouvoir. Les vagabonds pullulent ; et dans la région du Nord, qu’il habite, les contrebandiers, profitant du départ des douaniers pour l’armée, ne mettent plus de bornes à leur audace. C’est, en vérité, terrible. Et les affaires ne marchent pas, pas du tout. Pour lui, il ne sait vraiment que conseiller à sa fille et à son gendre.

M. Delanoix secoue la tête avec tristesse ; et toute sa personne, son ventre sur lequel tremblottent des breloques d’or, ses petits yeux vrillonnants baissés vers le sol, ses favoris maintenant mélancoliques, semble exprimer un désespoir complet.

Mais Raubvogel ne désespère pas. Il l’a dit, cette après-midi même, au cimetière, sur la tombe d’un officier français. Il a dit qu’il espérait, et fermement. « L’espoir ! a-t-il dit d’une voix vibrante. N’abandonnons jamais l’espoir, et nous serons toujours la Grande Nation ! »

Alors, Raubvogel a fait un discours ? Certainement. Voici dans quelles circonstances. Un officier français, blessé dans un des combats livrés sous Paris, avait été rapporté à l’hôpital de Versailles. Il y est mort avant-hier et on devait l’enterrer aujourd’hui à trois heures ; personne ne songeait à faire, des funérailles de cet officier, le prétexte d’une démonstration patriotique. Mais Raubvogel, informé des faits ce matin, a pris une résolution courageuse. Pendant plusieurs heures il s’est multiplié ; on a pu voir la voiture découverte qui le transportait parcourir la ville en tous sens ; pendant qu’un fiacre fermé conduisait Mme Raubvogel chez les autorités allemandes. À trois heures moins un quart, accompagné d’un nombre respectable de citoyens vêtus de noir et de quelques dames en grand deuil, parmi lesquelles sa femme, Raub-