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Il abandonne son rasoir et prend une paire de ciseaux.

— Je vais commencer par les cheveux.

Et il se met en devoir de me les tailler, le plus ras possible. Tout en travaillant il cause.

— Tu es arrivé ce matin ?

— Oui.

— Combien as-tu encore de temps à faire ?

— Trois ans.

— Trois ans ! ― Il ricane ― Assieds-toi un peu. Ça va se passer.

Puis, s’apercevant sans doute que ses sarcasmes m’attristent, il reprend, d’une voix basse, de cette voix des prisonniers qui craignent d’être entendus et qui jettent, en parlant, des regards furtifs autour d’eux :

— Tu sais, ce que je t’en dis, c’est pour blaguer. Le temps paraît long, ici ; mais enfin, ça se tire tout de même. Ainsi, moi, j’avais vingt mois à faire quand je suis arrivé et, dans trois mois, je serai libéré.

— Ah !

— Oui. À moins que d’ici là il ne m’arrive quelque anicroche. On n’est jamais sûr du lendemain, ici. C’est à qui essayera de vous faire passer au conseil de guerre. Les congés sont en caoutchouc, on les rallonge facilement. C’est pourtant bien assez de nous faire faire notre temps jour pour jour.

— Ah ! l’on fait ses cinq ans en entier ?

— Tout juste. Tu ne savais pas ça ? Je parie que tu ne sais seulement pas comment ça se passe, ici ?

Et il me donne des détails. Il m’apprend qu’aucun des règlements en vigueur dans l’armée régulière n’est applicable aux Compagnies de Discipline et qu’elles sont entièrement soumises, par le fait, au bon plaisir du capitaine. Il est formellement défendu