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je suis un voleur, pour qu’on m’attache les poignets ? Est-ce que je suis un malfaiteur, pour qu’on m’enchaîne ? Est-ce que j’ai commis aucun des crimes ou des délits justiciables d’un tribunal, même des tribunaux militaires ?

Ils n’y regardent pourtant pas à deux fois, ceux-là ! Est-ce qu’on peut me reprocher aucun acte contraire à l’honnêteté, aucun acte tombant sous le coup des répressions de la loi ? Moi, présenter les mains aux menottes, tranquillement, de bonne volonté, comme l’escarpe pris en flagrant délit ou le pégriot poissé sur le tas ! Plutôt me faire briser les membres !…

— Alors, on vous les brisera.

Ils se sont précipités sur moi, trois ou quatre, m’ont ramené les bras en avant et m’ont serré les poignets dans la chaîne infâme.

— Encore un cran ! n’ayez pas peur de tirer dessus. Ça lui apprendra à rouspéter.

Ça ne m’apprendra rien du tout. Ce que ça pourrait m’apprendre, je le sais depuis longtemps : c’est que le jour où j’ai jeté bas mes effets de civil pour endosser l’habit militaire, j’ai dépouillé en même temps ma qualité de citoyen et que, étant soldat, je suis un peu plus qu’une chose, puisque j’ai des devoirs, mais beaucoup moins qu’un homme, puisque je n’ai plus de droits.

Le gendarme qui doit m’escorter m’a conduit à l’entrée de la cour, devant la route qui traverse la Kasbah et m’a fait asseoir sur une grosse pierre.

— Attendez-moi là.

J’attends. On doit me prendre pour une bête fauve exhibée à la porte d’une ménagerie pour attirer les curieux. Des individus viennent me regarder, les uns avec pitié, les autres avec dédain. Le fournisseur des