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à grands coups de bâton, en poussant des cris sauvages, son troupeau indocile qui se bouscule pour passer. Puis elles s’enfoncent sous les longs arceaux d’une voie sombre où s’ouvrent les boutiques de Ioudis qui vendent des étoffes, des armes ou des poteries, l’échoppe des savetiers arabes, l’antre d’un marchand de cacaouët ou de beignets à l’huile ― une huile infecte dont l’âcre parfum vous poursuit. Elles passent devant des cafés maures où des Arabes accroupis sur des nattes, silencieux, vident à petits coups une tasse minuscule en jouant aux cartes ou en égrenant leur chapelet, pendant que le cafetier, impassible, entretient le feu de son fourneau en agitant doucement un petit écran d’alfa. Elles longent des cimetières où des taupinières étroites et pressées, couvertes de cailloux, indiquent les tombes, d’étroites terrasses où les dévots, le soir, font la prière ; des porches larges et bas sous lesquels viennent s’asseoir parfois, les jambes croisées, des mendiants chanteurs. Ignobles, pouilleux, le capuchon d’un burnous en loques rabattu sur leur face simiesque, frappant de leurs longs doigts décharnés la peau jaunie d’un tambourin, ils commencent par laisser échapper des sons rauques de leurs gosiers secs, et puis, peu à peu, s’animant eux-mêmes, sans s’occuper de leur auditoire, qu’une foule les entoure ou qu’ils n’aient devant eux que des chiens errants, se mettent à chanter un long poème, passant subitement des tons les plus sourds aux modulations les plus douces, des notes les plus attendrissantes aux cris les plus stridents, aux vociférations les plus déchirantes. On dirait qu’un souffle égare leur esprit, les exalte, qu’un grand frisson les parcourt tout entiers, qu’une fièvre les embrase, qu’un enthousiasme