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camarades qui n’avaient pas toujours le temps de s’occuper de moi. Ma famille, je ne la voyais pas, naturellement. Quant au reste, je n’avais jamais connu que deux ou trois gamines, belles de la beauté du diable et bêtes comme des enseignes de modistes, qui s’étaient envolées je ne savais où. Pendant des journées, j’allais par les rues, flânant, me laissant guider par ma fantaisie, buvant avidement l’air libre. Là seulement je me sentais vivre, et bien des fois, en pensant aux années de servitude qui m’attendaient encore, l’envie m’est montée au cœur de terminer une de ces bordées par le suicide. Je revenais pourtant, ne voulant pas être puni comme déserteur, furieux contre moi au moment de rentrer au quartier. Je me reprochais le triste courage qui me portait à franchir la grille. J’aurais remercié avec effusion un passant qui, d’une poussée brutale, m’aurait jeté à l’intérieur.

Immédiatement, j’étais mis en prison ; l’absence illégale, voilà le principal motif de mes punitions. J’en ai encore quelques-unes pour ivresse. Mon Dieu, oui ! Je me suis piqué le nez quelquefois…

On me punit aussi assez souvent pour réponses inconvenantes. Je suis inconvenant, c’est vrai, mais ce n’est pas tout à fait de ma faute. C’est une mauvaise habitude qui m’est venue tout d’un coup, à la suite d’avanies faites de gaîté de cœur, de vexations idiotes, d’affronts de toutes sortes que longtemps j’avais avalés sans rien dire. Un beau jour, j’ai découvert que ce parti pris d’injures m’avait gonflé le cœur, aigri le caractère, comme ces gouttes d’eau qui, tombant une à une, commencent par glisser sur la pierre et finissent par la creuser.


Mon horreur, ou plutôt mon dégoût de l’état mili-