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par le bon plaisir de qui de droit. Mon domicile habituel se compose d’une salle oblongue, privée de jour et dont l’atmosphère est continuellement viciée par des émanations qui s’échappent d’une espèce d’armoire mal fermée. Cette armoire est l’antre de Jules, Jules, l’inséparable compagnon des prisonniers, l’urne lacrymatoire des affligés. On le blague bien, ce pauvre Jules, mais comme, au bout du compte, il est indispensable, on ne lui en veut pas de faire sentir trop autocratiquement sa présence ; et c’est tout au plus si on lui tire un peu brutalement les oreilles, le matin, pour le punir d’avoir, pendant la nuit, abusé de la permission à lui accordée de repousser du goulot. Mon lit se compose de quelques planches inclinées et d’un couvre-pieds troué que le brigadier de garde me passe tous les soirs, couvre-pieds sur lequel les puces livrent aux punaises des batailles acharnées.

On me fait sortir plusieurs fois par jour, ainsi que mes camarades, pour nous permettre de nous livrer à des exercices variés et intelligents. Nous commençons par la corvée des latrines ; après quoi nous nettoyons les abreuvoirs. Puis, nous passons au balayage. Le balayage est notre occupation dominante ; nous balayons partout, nous n’oublions rien ; nous nous montrons impitoyables ; le moindre fétu de paille ne trouve pas grâce devant nous ; et si, par hasard, un crottin apparaît, nous nous précipitons dessus comme des dévots sur un morceau de la vraie croix. Aussi, il est certainement impossible de trouver une cour plus propre que la cour de notre quartier. Une seule chose m’étonne : c’est que nous ne l’ayons pas encore usée.

Une existence pareille est bien indigne, bien vile, bien abrutissante, n’est-ce pas ? Eh bien ! je la préfère