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que leurs vêtements en mauvais drap et leurs chaussures en cuir factice. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Un mois de plus, je le répète, j’étais dressé, et je faisais un soldat.


Mon séjour à Vincennes a tout changé.

Je ne suis pas un soldat.

— Vous n’êtes pas un soldat ! Vous êtes un malheureux !

C’est le colonel, entouré de tous les officiers du régiment, qui vient de me dire ça en passant une revue de chambres.

J’avais cru jusqu’ici que les deux termes : soldat et malheureux, étaient synonymes. Il paraît que non, car il a ajouté :

— Les soldats, on les honore. Les malheureux comme vous, on les fait passer par des chemins où il n’y a pas de pierres.

Là-dessus, tous les officiers m’ont fait de gros yeux terribles. Je m’y attendais : le colonel avait l’air furieux. S’il avait eu l’air gai, ces messieurs auraient fait leur bouche en cul de poule.

J’ai toujours désiré avoir un colonel qui eût l’habitude de priser. Je suis convaincu que, chaque fois qu’il aurait sorti sa tabatière, les officiers auraient éternué.

En attendant, je dois passer incessamment par un chemin où il n’y a pas de pierres. Quel est ce chemin ? Je l’ignore, mais je sais très bien qu’il ne me conduira pas à Rome, quoi qu’en dise le proverbe. Les différents chemins que je suis depuis onze mois me mènent toujours au même endroit : la prison.

Je n’en sors plus, de la prison ; ou, quand j’en sors, c’est pour attraper bien vite une nouvelle punition qui m’y réintègre pour un laps de temps déterminé