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quelles on voit défiler un matériel tout battant neuf, des chevaux aux crinières bien peignées et aux sabots noircis, portant des harnachements astiqués au sang de bœuf ― du sang qu’on va chercher dans des seaux, à l’abattoir, ― des hommes fourbis, dorés, brillants sur toutes les coutures et dont pas un, sur cent, n’a du linge propre.

Ce ne sont pas les travaux engageants, les occupations intéressantes, les spectacles attrayants qui manquent ici, au contraire. Eh bien ! malgré tout, je m’ennuie.

Je m’ennuie en me levant, à quatre heures du matin, pour la corvée d’écurie. Je m’ennuie au pansage, je m’ennuie à la manœuvre. Je m’ennuie en montant la garde ; je m’ennuie quand je sors en ville, la main gantée, tenant le sabre, à l’ordonnance, les yeux tournés à droite et à gauche pour chercher un supérieur à saluer. Je m’ennuie en pénétrant dans la cuisine, en me frottant aux cuisiniers raides de graisse, vêtus de pantalons immondes, de bourgerons infects. Je m’ennuie de ne jamais trouver dans ma gamelle que de la viande qui est de la carne, du bouillon, qui est de l’eau chaude, et des légumes qu’on a cueillis sur les tas d’ordures d’un marché au lieu de les récolter dans les champs. Je m’ennuie encore en la posant, cette gamelle, pour ne pas salir ma couverture, sur mon époussette, un magnifique carré de drap jaune ― qui empeste la sueur de cheval.

Et je m’ennuie surtout le soir, lorsque, étendu dans mon lit où les puces et les punaises ne me laissent pas fermer l’œil, je pense à la fatigante tristesse de la journée qui vient de finir.

Je m’embête furieusement, mais je fais les plus