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— Il avait mis sa soupière au Mont-de-Piété.

Ah ! je les connais par cœur, ces vieilles railleries régimentaires, ces plaisanteries toujours les mêmes, qui me froissaient si fort, qui me faisaient si mal au cœur, les premiers jours. Maintenant encore, peut-être, elles me chatouillent désagréablement, mais elles ne me font plus monter le rouge au visage et ne me donnent plus l’envie de me jeter sur les blagueurs et de leur fermer la bouche à coups de poings, au risque de me rendre ridicule et d’ameuter contre moi la haine et le mépris. Je comprends qu’ils ont le droit de me regarder de haut, eux qui n’ont rejoint le régiment qu’au moment où les Pandores leur ont apporté leurs feuilles de route, eux qui sont arrivés au corps en rechignant, comme des chiens qu’on fouette, malgré les rubans de leurs chapeaux et leurs chansons mouillées d’eau-de-vie. Je ne leur en veux plus, quand ils me font sentir, même un peu lourdement, leur mépris de paysans ou d’ouvriers obligés de quitter la charrue ou le marteau pour empoigner un fusil, quand ils me jettent au nez leur commisération dédaigneuse ― que je commence à trouver légitime ― pour les propres-à-rien incapables de faire œuvre de leurs dix doigts et réduits, aussitôt qu’ils s’aperçoivent que leurs pères ne sont pas nés avant eux, à piquer une tête dans l’armée.

Je ne leur en veux plus, mais je persiste à trouver le temps très long.


Comment les ai-je passés ces six mois qui forment la dixième partie du temps que je me suis engagé à consacrer, avec fidélité et honneur, au service de mon pays ? Je serais bien embarrassé de le dire au juste. Je les ai passés, voilà tout.