tout ? Tu n’as donc plus ni âme, ni cœur, ni conscience, ni… rien ? … Ah ! cette manie de dénigrement ! Le mal du siècle ! Cette manie de raisonner envers et contre tout !… Ah ! elle te coûtera cher, cette manie-là !… Quand tu seras soldat, je te conseille, mon ami, de continuer à discuter avec ton insolence habituelle. Sais-tu ce qu’on te fera, si tu raisonnes, si tu es insolent ? hein ? le sais-tu ?
— Non, mon oncle.
— On te passera par les armes.
— On t’exécutera, dit ma tante.
— On te fusillera, dit ma cousine.
J’en ai la chair de poule ; et mon oncle, qui a produit son effet, continue son réquisitoire.
— Depuis, qu’as-tu fait ? Tu as passé, je crois, deux mois dans un bureau. Au bout de ces deux mois, tu as jugé à propos de gifler un sous-chef et l’on t’a flanqué dehors. Continue à appliquer ce petit système-là dans l’armée, et ce ne sera pas dehors qu’on te mettra, ce sera dedans.
Ma tante et ma cousine éclatent de rire. Je ris aussi, en me forçant un peu ― je me chatouille la paume de la main avec le petit doigt. Que voulez-vous ? Mon oncle a soixante ans ; son répertoire de jeux de mots est bien vieux, c’est vrai ; mais on ne peut vraiment pas lui demander d’apprendre par cœur, à son âge, le nouveau recueil des coq-à-l’âne et des calembours, augmenté d’une préface en vers. Je me mets à sa place, je sais très bien que, lorsque j’aurai soixante ans et que je dirai, par exemple : « Ce qui est plus fort qu’un Turc, c’est deux Turcs, » j’éprouverai un grand plaisir à voir s’esclaffer mes auditeurs.
Mon rire a déridé mon oncle. Il fait un geste vague de commisération indulgente.