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le chauvinisme, cette épidémie qui s’abat sur les masses et les pousse, affolées, à la recherche d’un dictateur.

L’armée incarne la nation ! Elle la diminue. Elle incarne la force brutale et aveugle, la force au service de celui qui sait lui plaire et ― c’est triste à dire, mais c’est vrai ― de celui qui peut la payer.

« Cela s’est fait, mais ne se fera plus. » Si, la blessure ne se guérira point. La gangrène y est.

L’armée, c’est le réceptacle de toutes les mauvaises passions, la sentine de tous les vices. Tout le monde vole, là-dedans, depuis le caporal d’ordinaire, depuis l’homme de corvée qui tient une anse du panier, jusqu’à l’intendant général, jusqu’au ministre. Ce qui se nomme gratte et rabiau en bas s’appelle en haut boni et pot-de-vin. Tout le monde s’y déteste, tout le monde s’y envie, tout le monde s’y torture, tout le monde s’y espionne, tout le monde s’y dénonce. Cela, au nom de soi-disant principes de discipline dégradante, de hiérarchie inutile. Avoir un grade, c’est avoir le droit de punir. Punir toujours, punir pour tout. De peines corporelles, naturellement ; celles-là seules sont en vigueur… Ah ! c’est triste qu’un bout de galon permette à un homme de mettre en prison son ennemi ― ou de faire fusiller son camarade.

L’armée, c’est le cancer social, c’est la pieuvre dont les tentacules pompent le sang des peuples et dont ils devront couper les cent bras, à coups de hache, s’ils veulent vivre.

Ah ! je sais bien : le patriotisme !… Le patriotisme n’a rien à faire avec l’armée, rien ; et ce serait grand bien, vraiment, s’il n’était plus l’apanage d’une caste, la chose d’une coterie, l’objet curieux que des escamoteurs ont caché dans leur gibecière, et qu’ils mon-