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restée voilée à mes yeux. Maintenant que j’ai tout vu, maintenant que j’ai vu Tartufe porter des épaulettes et Laubardemont un panache, maintenant que je sais qu’il me faut redouter non seulement la griffe du tigre, mais la dent de la vipère et le dard du scorpion, j’ai peur.

Sortirai-je jamais d’ici ? Encore quatre mois, mon Dieu !… comme c’est long ! Je passe des jours bien tristes et des nuits bien lugubres ! J’essaye, pourtant, d’atténuer la sensation trop forte du présent avec la vision de l’avenir. Je voudrais que cette image pût abolir dans mon esprit toutes les autres images et que le rose dont je l’enlumine mît un éclair de gaîté sur le fond noir de mes pensées… Un rien me trouble, le moindre incident me bouleverse. Les nerfs s’en mêlent.


Les petites peurs, les grandes craintes, les crâneries passagères, les longs affaissements, les vigoureux espoirs qui vous enlèvent avec l’élasticité d’un tremplin, et le filet lâche de la désespérance dans lequel on retombe, mou et flasque ― sans pouvoir se briser les os…


Je me suis fait un petit calendrier sur lequel, tous les soirs, j’efface une journée. J’en ai encore, des coups de crayon à donner !… Une superstition stupide s’est emparée de moi, aussi. Partout je cherche des présages, heureux ou malheureux, des indices d’une libération prochaine ou d’un événement cruel.

— Si le gros nuage gris, à gauche, a atteint la montagne avant le petit nuage blanc, à droite, ce sera bon signe pour moi.

Et, si c’est le nuage blanc qui arrive premier, j’ai