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Alors, que s’est-il passé ? Comment dire cette chose ? Comment rendre cette image que j’ai là, devant les yeux ?


Un puits avec une margelle de pierres rouges ; deux Arabes, un vieux et un jeune, un enfant de quinze ans, tirant de l’eau dont ils remplissent des outres placées sur un ânon ; l’Amiral saisissant le vieillard par le bras, le vieillard levant sa faucille dans un geste désespéré, une lame qui brille et l’Arabe tombant à la renverse, sa grande barbe blanche toute droite. Et je me vois aussi, moi, saisissant à la gorge l’enfant qui n’a pas le temps de jeter un cri et lui enfonçant, à trois reprises, ma baïonnette dans la poitrine…

En moins d’une minute, tout cela. Et quoi encore ? Je ne me rappelle pas ; je ne sais plus. Les avons-nous précipités dans le puits, les cadavres ? Je l’ignore. En vérité, je l’ignore. Et je ne sais même pas si nous en avons bu beaucoup, de cette eau qui avait une petite teinte rouge et qui nous a semblé si bonne, quand la soif, qui nous avait subitement quittés, un instant, nous est revenue plus ardente…


Ce que je vois bien, par exemple, ― oh ! très distinctement ! ― c’est l’Amiral assis près du puits dans lequel il s’amuse à jeter des cailloux en disant :

— Ah ! le vieux chameau ! Il ne voulait pas me laisser boire dans sa guerba !

Et je ris doucement, moi, car je viens de faire reluire au soleil ma baïonnette que j’ai frottée avec du sable après l’avoir passée dans des touffes d’alfa. Parole d’honneur ! elle est plus propre et plus nette que si elle sortait de chez l’armurier.