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Il se lève, se promène de long en large et s’écrie en roulant au plafond des yeux de poisson frit :

— Dieu, qui voit le fond des cœurs, l’a sans doute exaucée !

C’est bien possible, mais je ne serais pas fâché de placer un mot.

— Mon oncle…

— Mais, malheureux ! tu as donc oublié jusqu’aux lois fondamentales de la politesse ? Tu ne sais donc plus qu’il est inconvenant de couper la parole aux personnes qui… qui… Tu verras, quand tu seras soldat, si tu interrompras impunément tes chefs ! Ah ! tu en as besoin, vois-tu, de manger de la vache enragée !

Ma tante, qui vient d’entrer avec ma cousine, a surpris ces dernières paroles. Elle s’approche de moi.

— Tu t’es engagé ? Tu vas être soldat ? Eh bien ! entre nous, mon ami, ça ne te fera pas de mal de manger de la vache enragée.

— Ça lui fera même beaucoup de bien, appuie ma cousine, avec un petit air convaincu.

J’esquisse un geste de dénégation, mais mon oncle me jette un regard furieux. Cette fois, c’est bien entendu, j’ai besoin de manger de la vache enragée. Je n’ai plus qu’à me figurer que c’est un traitement à suivre, voilà tout. D’ailleurs, ça doit me faire beaucoup de bien.

— Tu as toujours eu un caractère exécrable, continue mon oncle. Dès l’âge le plus tendre, tu faisais tourner le lait de ta nourrice…

— C’est une horreur, dit ma tante.

— Une abomination ! dit ma cousine.

Mais sa mère lui lance un coup d’œil de travers.