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J’esquisse même un léger portrait du sapeur : la crème des honnêtes gens, un cœur d’or ; tout est sacré pour lui, etc. Je n’écris pas à mon père, ni à mon oncle, parce que je ne voudrais pas qu’ils se fissent du mauvais sang en me sachant si loin ; je ne sais pas au juste quand se terminera notre voyage. J’ai tout lieu de croire, cependant, que nous ne pousserons pas jusqu’aux sources du Nil.

Relisons un peu, pour voir. C’est ça, c’est ça… tout y est : la chaleur, les gazelles, les palmiers, les chameaux. « Tous les jours, nous mangeons un bifteck de chameau… Quelquefois, nous sommes pressés par la soif. Que faisons-nous ? Nous ouvrons la bosse d’un chameau, ce réservoir dont la Providence a gratifié le vaisseau du désert, et nous nous désaltérons en remerciant Dieu… Les chameaux restent quarante jours sans manger. C’est très curieux. » Je parle aussi des lions ; je consacre deux lignes à la hyène et une phrase entière au boa constrictor. Allons, ça n’a pas l’air d’aller mal… Ah ! sacré nom d’une pipe ! j’ai oublié l’autruche ! Ça fait pourtant rudement bien, l’autruche ! Vite : « À l’approche du chasseur, l’autruche enfouit sa tête dans le sable. » Maintenant, ça peut marcher. Voilà une lettre, au moins, qui prouve que les pays que je visite font quelque impression sur moi. J’éprouve des sensations. Je ressens quelque chose là, là, au spectacle des tableaux grandioses de la nature. Je ne vais pas le nez en l’air, comme un imbécile, sans rien voir, sans penser à rien. Ah ! mais non. Je sens, je vois, je vois même très bien ; et la preuve, c’est que je vois absolument comme tous ceux qui ont vu avant moi. En relisant Buffon, mon cousin pourra constater que je ne le trompe pas.

Je porte ma lettre au vaguemestre et j’attends. Je