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énergie disparaît avec les souffrances qui l’avaient fait naître et les coups de fouet qui l’irritaient ! Voilà que je n’ai même plus la force de regarder en face les deux ans qui me restent à passer ici, devant ce code pénal dont je me moquais hier et qui me terrifie aujourd’hui ; voilà que j’aurais la lâcheté de les troquer, ces deux ans, tant j’ai peur du conseil de guerre, contre cinq années de bagne, avec la liberté assurée au bout !

Je n’avais encore jamais ressenti ce que j’éprouve à présent avec une intensité effrayante : le dégoût de tout, même de l’existence, ce dégoût énorme qui porterait un homme aux pires atrocités et le ferait marcher, tranquille et haussant les épaules, au devant des éventualités les plus terribles, les plus ignobles ― ou les plus bêtes. ― Je me sens, dans toute la force du terme, abruti…


Et qui sait si ce n’est pas pour venir plus facilement à bout de ma résistance qui les irrite, que les chaouchs ont résolu de ne plus me mettre en prison à propos de bottes et de me forcer à vivre avec des moutons et des abattus dont la fréquentation affaiblit ? Qui sait si ce n’est pas pour me pousser à quelque extrémité qu’ils m’ont désigné pour aller, demain matin, avec une douzaine d’autres, renforcer le détachement d’El-Ksob ? El-Ksob, le plus mauvais poste de la compagnie, commandé par un officier féroce, et d’où remontent toutes les semaines, pour être mis en prévention de conseil de guerre, des malheureux dont nous allons prendre la place. Ah ! j’aimerais mieux la prison…


Je suis un torturé dont le courage consiste à braver