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Une série de sifflements part du marabout du chef de poste.

— Factionnaire, il me semble que j’entends du bruit. Si ça continue, je vous fiche dedans.

Ça m’est égal.

— Vous savez que vous avez le droit de faire usage de vos armes.

Faire usage de mes armes ? De la peau !

Ah ! çà, pour qui me prend-il, ce Corse ? Est-ce qu’il se figure que j’ai, comme lui, dans les veines, du sang de ces bandits sinistres qui sont brigands dans les maquis ou garde-chiourmes dans les bagnes ? Est-ce qu’il croit, réellement, que j’aurai jamais la lâcheté de maltraiter ces hommes, qui sont là, couchés sur la terre nue, chacun sous une simple toile de tente si basse et si étroite qu’ils ne peuvent même pas s’y remuer. On les appelle des tombeaux, ces tentes montées avec la toile réglementaire portée par les deux moitiés de supports et haute à peine de cinquante centimètres, sur soixante de largeur. Les prisonniers y entrent en se mettant à plat ventre, rampant, usant de précautions infinies pour ne pas les démonter ; et une fois dedans, c’est tout au plus s’ils peuvent changer de position, quand ils ont tout un côté du corps complètement ankylosé. C’est sous ce lambeau de toile, exposés à toutes les intempéries, garantis du froid des nuits par un couvre-pieds dérisoire, qu’il leur faut réparer leurs forces. Et, chaque matin, en dehors des corvées les plus pénibles, ils doivent faire trois heures du peloton de chasse le plus éreintant ; autant l’après-midi, sous la chaleur accablante. Il est vrai qu’on les nourrit bien : ils ne touchent ni vin, ni café et n’ont de viande qu’une fois par jour. Leur seconde gamelle ne contient que du bouillon.