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cendres jetées entre l’élévation de montagnes rougeâtres rongées à des hauteurs inégales, aux sommets pelés et galeux, donne l’idée d’une désolation profonde. Il n’y a pas même d’eau dans cet horrible pays ; il faut aller la chercher à plusieurs kilomètres, jusqu’à un puits d’où reviennent des moukères qui plient sous le poids des outres pleines. Elles passent à côté de nous, déjetées, hideuses, sans âge, les pieds nus tout gris de poussière, une odeur de fauve s’exhalant de leur corps de femelles en sueur, n’ayant plus rien de la femme. La tête entourée d’une loque noire, des lambeaux de toile bleue jetés sur le corps, d’énormes anneaux d’argent aux oreilles, elles descendent la côte avec des torsions et des soubresauts ignobles, brisées, cassées en deux, scandant de geignements sourds leur titubante démarche d’animaux usés. On dirait de vieilles barriques défoncées des deux bouts qui roulent lamentablement, leurs douves desséchées et disjointes jouant en grinçant dans leur armature décrépite de cercles vermoulus.


Les muletiers nous font descendre devant une grande tente qui sert provisoirement d’hôpital, à côté d’un marabout déchiré dans l’intérieur duquel on entrevoit trois planches posées sur des tréteaux ; au-dessous sont deux grands seaux remplis jusqu’aux bords d’une eau rougeâtre.

— Tu vois ça ? me dit Palet qui a tout de suite deviné, avec l’instinct des mourants, la destination de la table sinistre ; eh bien ! c’est mon dernier lit.

Un infirmier, un tablier sale autour du corps, nous fait signe d’entrer.

Il est pitoyable, l’aspect de cette grande tente dont le toit usé par les pluies et les portes décousues