Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/136

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’homme se lève avec peine et s’approche.

— Ah ! c’est le fameux Palet ! s’écrie le capitaine en ricanant. Eh bien ! vous ne devez pas être trop fatigué, puisque vous avez achevé l’étape d’aujourd’hui sur les mulets… Bon pour la marche, docteur, et pour le sac aussi.

Palet ne bouge pas ; mais, fixant sur le capitaine ses grands yeux hagards, il dit d’une voix sourde :

— Mon capitaine, vous savez que je suis très malade. Vous m’en voulez. Vous m’avez empêché d’entrer à l’hôpital, à La Goulette. À Gabès, vous m’avez refusé l’autorisation d’aller passer la visite du médecin en chef. Ce matin, j’ai fait ce que j’ai pu pour faire l’étape ; je ne suis tombé que lorsque j’ai été à bout de forces. Si mes camarades m’ont mis sur un mulet, ce n’est pas ma faute. D’ailleurs, j’aurais autant aimé crever où j’étais. Maintenant, je n’en peux plus. Je viens vous demander de me reconnaître malade et de me faire mettre sur les cacolets ou au moins de m’exempter de sac. Voulez-vous ? Si vous voulez seulement me retirer mon sac, je me traînerai comme je pourrai et j’arriverai peut-être à faire l’étape. Si vous ne voulez pas, quand je ne pourrai plus aller, je tomberai et je crèverai là. Ça m’est bien égal, allez ! Si vous saviez ce que je m’en fiche !…

Le médecin a l’air attendri. Il tâte le pouls du malade et hoche la tête. Le capitaine, devant cette pitié, n’ose pas se montrer trop dur :

— Vous êtes un très mauvais soldat… Vous êtes criblé de punitions… Ce matin encore, vous avez commis un acte d’indiscipline impardonnable. Vous avez refusé de vous lever quand vos supérieurs vous l’ordonnaient. Rien que pour cela, je devrais vous faire passer au conseil de guerre… Et puis, vous ve-