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VII


Il me semble qu’il y a des siècles que je suis arrivé à la Compagnie, ― et il n’y a que deux mois. Le temps ne m’a jamais paru aussi long. Les journées ont plus de vingt-quatre heures, ici… De toutes les sensations douloureuses qui m’avaient assailli au début et qui, peu à peu, m’abandonnent, celle de l’interminable longueur du temps est la seule qui persiste. Elle augmente d’intensité tous les jours. Elle m’assomme ; elle me désespère aussi, car elle me force à penser ― et je voudrais ne plus penser. Je voudrais vivre en bête. Comme le bœuf qu’on fait sortir tous les matins de l’étable, le front courbé sous le même joug, qui trace aujourd’hui un sillon, demain un sillon parallèle, piétinant sans cesse le même champ fermé du même horizon, impassible, habitué au poids de la charrue, insensible à l’aiguillon du bouvier.

Les coups d’aiguillon que je reçois, moi, ce sont les insultes. Ils ne m’épargnent pas, les chaouchs, durant les journées sans fin qui se ressemblent toutes, même les dimanches, consacrés aux travaux de propreté. Que