Page:Darien, Bas les coeurs, Albert Savine éditeur, 1889.djvu/16

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comme je fais quelquefois, un œil déchiffrant les lignes aperçues dans l’entre-bâillement du papier, un œil explorant les environs, mais sans gêne, tranquillement, coram populo, portant le journal tout déplié devant moi, à bras tendus, comme une affiche que je vais coller le long d’un mur. Et, quand je le ferme, à vingt pas de la maison, des phrases dansent encore devant moi, pesantes comme des massues, des lignes longues, droites comme des épées, les petites lignes des alinéas acérées comme des couteaux ; j’ai dans la tête comme un remuement d’armes, un cliquetis de ferrailles. Je réciterais l’article d’un bout à l’autre, j’indiquerais la place des virgules et même des points d’exclamation :

« Le tambour bat, le clairon sonne, ― c’est la guerre ! Aux armes ! Aux armes !

« … Aux armes ! Sus à ces beaux fils de la sabretache, qui épient à l’horizon les baïonnettes de la France !…

« … Place au canon ! Et chapeau bas ! Il va faire la trouée à la civilisation ! À l’humanité !… C’est sa voix qui va chanter l’hosanna de la victoire !

« … La France reculer ?… C’est le soleil qui