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LXXVII
INTRODUCTION.

Mais je répugne, pour ma part, à penser si tristement de ce grand homme, et j’aime mieux adopter une autre interprétation de son silence. Car a-t-il pu réellement éviter l’omission qu’on lui reproche ? c’est douteux. Pour une foule de raisons, beaucoup d’ouvrages ont dû lui rester inconnus. Lui-même avoue, d’ailleurs, que son catalogue ne contient pas la moitié des noms qui réclamaient justement le souvenir et la reconnaissance de la postérité. Dans le fait, il ne cite pas Hyménée et Narcisse, dont les ouvrages existaient encore du temps de saint Maxime[1] ; il ne cite pas Athénagore, dont nous avons deux discours parfaitement authentiques ; il ne cite pas saint Pantène, cependant mentionné par d’autres auteurs. Il ne donne pas la liste complète des écrits de saint Clément Romain, d’Origène, de saint Denys d’Alexandrie. Or, qui empêche de croire que saint Denys ne fut enveloppé que par un hasard malheureux dans ce silence, où il ne paraît aucune trace de préméditation ? Ainsi Eusèbe serait sans crime, et l’objection qu’on nous fait sans force.

Mais il me semble encore plus facile d’expliquer pourquoi les anciens Pères n’ont pas cité saint Denys. Les anciens Pères, aussi bien qu’Eusèbe, pouvaient ignorer que saint Denys eût écrit, ou n’avoir pas lu ses œuvres. La rareté, ou, si l’on veut, le peu de vogue de pareils livres, aurait naturellement résulté de la difficulté de les comprendre, et du secret religieux qu’on imposait au lecteur : la première condition ne leur permettait pas d’être populaires et de se répandre ; la seconde, strictement exécutée, tendait à les plonger ou à les maintenir dans une mystérieuse obscurité. Au reste, ce sort leur fut commun avec beaucoup d’autres livres de la même époque, et traitant de matières analogues. Mais quand on avouerait qu’ils furent universellement répandus, il ne s’ensuivrait pas qu’ils dussent être fréquemment allégués en preuve. Les querelles théologiques se débattaient alors et se décidaient

  1. Maxim., Prolog, in opera S. Dionys.