Page:Darboy - Œuvres de saint Denys l’Aréopagite.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
cxliv
INTRODUCTION.

insensible, fut violent et plein d’un trouble immense. Là se rencontrèrent les derniers débris de l’esprit romain, le caractère natif des races vaincues, mais non pas éteintes, la mâle énergie et la valeur indomptée des conquérants, la dure et âpre religion du Nord, et la mansuétude à la fois douce et ferme du christianisme. Il faut tenir compte encore de ce qu’apporta l’Orient ; son influence fut avant tout une influence de doctrine ; il envoya ses arts, ses sciences et sa philosophie visiter l’Europe, qui, un peu plus tard, lui rendit cette visite, la croix sur la poitrine, et le glaive à la main.

Or, un jour l’empereur de Constantinople, Michel-le-Bègue, fit présent à Louis-le-Débonnaire des œuvres de saint Denys[1]. Soit qu’alors elles n’aient point été traduites, soit que la traduction trop incorrecte fût tombée dans le mépris, Charles-le-Chauve en demanda une nouvelle à Jean Scot, que l’on nomme encore Scot Érigène, parce qu’il était descendu des montagnes de la verte Érin, aujourd’hui l’Irlande, pour venir s’asseoir au foyer protecteur des rois francs[2].

Non-seulement Scot Erigène traduisit les écrits de l’Aréopagite, et les commentaires de saint Maxime, mais il en adopta les doctrines, qui devinrent ainsi la base de ses propres travaux. Considéré comme philosophe, cet homme n’a pas d’aïeux dans la société qui l’a nourri ; il faut remonter au moins quatre siècles, pour trouver dans les Pères grecs et surtout dans saint Denys quelque chose à quoi il se rattache. Il est placé au seuil du moyen âge, avec une science mystérieuse et une langue inconnue, comme une pyramide chargée de caractères hiéroglyphi-

  1. En 824, selon quelques-uns ; en 827, selon d’autres.
  2. On pense assez communément que ce nom de Scot désignait la race ou la contrée d’où sortait Jean (les Scotiens ou l’Écosse) ; et ce surnom d’Érigène, la terre qui le vit naître, ou qui du moins nourrit son esprit par la science (l’Irlande, alors peuplée de monastères renommés pour leur piété et leur doctrine). Cf. Saint-René-Taillandier, Scot Érigène et la Scholastique, p. 30.