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CISTUS

refus, il avait, à l’instant, compté ses gages à Dulac et l’avait renvoyé tout net, lui interdisant sa maison, lui défendant de revoir Alice.

Laurent était parti, mais lui et elle s’étaient revus. En fait leur amour persistait, s’accroissait par l’obstacle même. Le garçon avait un emploi au village du Moulin ; mais souvent, après ses journées, dans la nuit déjà brune, il se glissait à travers champs jusqu’à la ferme des Corriveau. Il attendait, dissimulé derrière un orme de la route. Alice, sous un prétexte, sortait et venait le rejoindre. C’étaient des instants courts, fiévreux, coupés d’inquiétude, où ils échangeaient des paroles, des caresses hâtives, et se confirmaient leur promesse. Ces entrevues laissaient la jeune fille affaissée et brisée ; leur souvenir tourmentait ses jours et hantait ses nuits sans sommeil. Voilà pourquoi elle était pâle et réfractaire à toutes les tisanes.

Ceci dura jusqu’en novembre. Alors les soirs devinrent glacés. Le vent du large régna, secouant la forêt, poussant devant lui les feuilles mortes. La nuit tombée plus tôt rendit leurs rendez-vous lugubres. Il devint moins facile d’imaginer des ruses. Quand enfin Alice s’échappait, elle cherchait Laurent à tâtons dans l’obscurité noire ; ils res-