Page:Dantin - Contes de Noel, 1936.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
12
CONTES DE NOËL

tude, c’était le poids d’un lourd secret. Elle aimait, à l’insu de tous. Elle aimait en cachette Laurent Dulac, un grand garçon de ferme qui leur avait aidé à faire les récoltes, que ses parents avaient logé pour la saison. Aux maints frôlements de chaque jour les deux jeunes s’étaient vite épris : elle, gagnée par sa belle humeur et sa force, lui par ses manières douces, par le son d’argent de son rire et le feu-follet de ses yeux. Ils s’étaient fait des signes pendant les veillées, s’étaient pris les doigts sous la table, s’étaient souvent rencontrés au puits. Même, une fois, il l’avait embrassée à l’abri d’un voyage de foin. Mais ceci n’était pas un jeu ; ils s’aimaient pour de bon, leur cœur était captif. Ils rêvaient de se marier et s’étaient promis l’un à l’autre. Un jour du mois passé, Laurent avait abordé le père Corriveau et, en termes bien humbles, lui avait demandé sa fille. Mais hélas ! ç’avait été une tempête. Le fermier, stupéfait d’abord, s’était monté, l’avait traité d’enjôleur, d’effronté, intriguant après l’héritage. Les instances, les raisons n’y avaient rien fait. Alice était survenue toute en pleurs, la mère elle-même avait supplié, mais en vain. « Sa fille, avait-il dit, n’était pas pour un engagé, un quêteux, sans une piastre, sans un pouce de terre, n’ayant que sa chemise sur le dos. » Et non content de ce