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J’ai parlé de lui comme s’il était un corps, et même un homme, dans trois circonstances : quand j’ai dit que je le voyais venir de loin. Comme, suivant Aristote, se mouvoir ne peut être que le fait d’un corps, il semble que je fais apparaître l’Amour comme un corps. Quand j’ai dit qu’il souriait, et même qu’il parlait, comme c’est là le propre de l’homme, le rire surtout, il semble que j’en ai fait un homme[1].

Pour expliquer ceci, il faut d’abord savoir qu’autrefois on ne parlait pas de l’amour en langue vulgaire. Ont seulement parlé de l’amour quelques poètes en langue latine. Parmi nous, comme peut-être encore ailleurs, et comme chez les Grecs, ce n’était que les poètes lettrés et non vulgaires qui traitaient de semblables sujets. Et il n’y a pas beaucoup d’années qu’apparurent pour la première fois ces poètes vulgaires, c’est-à-dire qui dirent en vers vulgaires ce qu’on disait en vers latins ; et nous en chercherions en vain, soit dans la langue de l’Oco[2], soit dans la langue du Si, avant cent cinquante ans.

  1. Si, dans les vers passionnés de la Vita nuova nous reconnaissons le poète de la Divine Comédie, nous retrouvons ici l’auteur de Il Convito.
  2. Languedoc.