Page:Dante Alighieri - La Vie nouvelle, traduction Durand Fardel.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Regarde-moi, lui dit-elle, je suis, je suis bien Béatrice. »

Puis, s’adressant aux créatures célestes qui l’entouraient : « la grâce divine avait si bien doué celui-ci que, dès le principe de sa vie, il semblait que toute habitude droite devait produire en lui des effets merveilleux. Mais une terre fournie de mauvaises semences et mal cultivée, devient d’autant plus mauvaise elle-même et plus sauvage qu’elle possédait plus de vigueur. Je l’ai soutenu quelque temps par mon aspect en lui montrant mes jeunes yeux. Je le menais avec moi sur le droit chemin. Dès que je m’approchai de ma seconde vie, il s’est séparé de moi et il s’est donné à d’autres. Alors que mon corps s’est élevé à l’état d’esprit, et que j’eus grandi en beauté et en vertu, je lui devins moins chère et moins agréable. Il tourna ses pas vers un chemin mensonger, courant après des images séduisantes et fausses qui ne rendent rien de ce qu’elles promettent. »

Puis, s’adressant à Dante lui-même : « Tu vas entendre quel effet contraire devait te produire l’enfouissement de ma chair. Ni la nature ni l’art ne t’a jamais représenté la beauté aussi bien que la belle enveloppe qui m’avait revêtue, et qui n’était plus que de la terre. Et, quand cette beauté suprême est venue à te manquer par ma mort, quelle chose mortelle devait donc attirer tes désirs ?… Et alors que tu n’avais plus l’excuse de la jeunesse et de l’inexpé-