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pleurs interrompus, de sorte que mes yeux paraissaient être devenus deux choses qui ne souhaitaient plus que de pleurer. Et il arrivait que par la longue continuité de ces pleurs, ils finissaient par s’entourer de cette rougeur qui est le stigmate des pensées martyrisantes. Aussi furent-ils si bien compensés de leur sécheresse que désormais ils ne purent regarder personne sans que toutes ces pensées leur revinssent.

Aussi voulant que ces désirs coupables et ces vaines tentations fussent détruits de manière qu’il ne restât aucune signification de ce qui précède, j’ai voulu faire ce sonnet qui le fît bien comprendre.

Hélas, par la force des soupirs[1]
Qui naissent des pensées contenues dans mon cœur,
Mes yeux sont vaincus et ne sont plus capables
De regarder ceux qui les regardent.
Et ils sont devenus tels qu’ils semblent n’avoir plus que deux désirs :
Celui de pleurer, et celui de montrer leur douleur,
Et souvent ils pleurent tellement que l’Amour
Les cerne des stigmates du martyre.
Ces pensées, et les soupirs que je pousse
Me remplissent le cœur de telles angoisses

  1. Lasso ! per forza de’ molti sospiri