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INTRODUCTION.

espérait le commenter lui-même, comme il a commenté ses moindres poésies ; et si la mort lui en eût laissé le temps, il n’eût pas emporté dans la tombe le regret amer de livrer son œuvre à l’esprit de controverse. Son âme, qui a eu tous les pressentiments, se défiait des interprètes ; il a vu se lever de loin ce noir essaim de corbeaux prêts à fondre sur leur proie et à déchirer son cœur de poëte, tout palpitant encore.

Il y a sans doute une allégorie, un sens élevé et profond sous les vers admirables de ce grand drame. Mais il ne faut pas confondre le sens littéral et le sens allégorique, le sujet et les accessoires, la réalité et le mythe. La Genèse et les autres livres bibliques, que Dante a imités sous le rapport du style, ont aussi subi une fausse interprétation. Des hérétiques anciens et modernes ont essayé de soutenir qu’Adam n’était qu’un symbole, et tout le récit de Moïse une vaste allégorie. C’est ainsi que plusieurs interprètes, cherchant des mystères où il n’y en avait pas, ont négligé l’explication naturelle pour suivre leurs divagations chimériques ; ils n’ont pas compris que sans action il n’y a pas de poëme possible. Si de tout ce voyage douloureux et terrible il ne reste plus qu’une misérable fantasmagorie, si le poëte chrétien ne descend pas bien réellement dans les entrailles de la terre, s’il ne s’accroche pas aux rochers du Purgatoire, s’il ne s’élance pas à travers les orbites des cieux, emporté par la puissance divine ; si tous ces sanglots brisés, toutes ces larmes brûlantes, toutes ces joies sublimes, ne sont que d’ingénieuses métaphores, des mots à double entente, d’obscures énigmes, jetées en pâture à la curiosité des pédants, tandis que le narrateur dort paisiblement dans son fauteuil et voit passer en songe sa vision symbolique ; s’il en est ainsi, si on peut le supposer un instant, tout l’intérêt du drame s’anéantit ; l’évidence, cette loi souveraine de l’art, est détruite, et le poëme tombe de toute la hauteur qui sépare l’imagination de la foi, l’hypothèse du dogme, la rêverie de l’extase.

Nous savons qu’il n’est pas donné à l’homme de traverser avant sa mort le royaume éternel, et Dante ne l’ignorait pas non plus apparemment, lorsqu’il entourait de tant de précau-