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CHANT DIX-SEPTIÈME

munie de ce genre de défense ; et, comme ces forteresses communiquent à la campagne par des ponts jetés de distance en distance, de même des rochers, suspendus en forme d’arches, offrent une communication non interrompue des vallées avec le puits qui les termine.

C’est dans ce lieu que nous nous trouvâmes, après que Géryon nous eut secoués de son échine. Le poète marchait à gauche, et je le suivais : à droite, je vis de nouvelles douleurs, de nouveaux tourments et de nouveaux bourreaux qui remplissaient la première vallée.

Au fond étaient placées les ombres nues des pêcheurs ; ils se partageaient cette enceinte où ils suivaient des directions opposées. La moitié de ces ombres venait vers le point que nous occupions ; l’autre moitié marchait dans le même sens que nous, mais à plus grands pas.

Comme les pèlerins qui, lorsque l’année du jubilé a réuni un grand nombre d’âmes pieuses à Rome, traversent le pont dans un ordre sagement prescrit ; d’un côté passent ceux qui s’avancent vers le château, et vont visiter le temple de Saint-Pierre ; de l’autre, reparaissent ceux qui retournent vers la montagne : de même des démons cornus foulaient, à droite et à gauche, le sol noirâtre, tenant en main des fouets dont ils battaient cruellement les âmes les plus paresseuses.

Avec quelle rapidité les premiers coups précipitaient les pas de ces malheureux ! aucun d’eux n’attendait qu’un second ou un troisième coup vînt châtier sa lenteur. Mes yeux rencontrèrent une ombre que je crus reconnaître ; je m’attachai à la considérer. Mon guide bienveillant suspendit ses pas, et permit que je m’arrêtasse un instant. Le flagellé crut se cacher en baissant la vue ; mais ce fut en vain, et je lui dis : « Toi, qui baisses rapidement tes yeux vers la terre, tu es Venedico Caccianimico, si ces traits ne sont pas trompeurs. Quel crime t’a donc condamné à des sauces si poignantes. » L’ombre répondit : « Je l’avoue avec peine ; mais je suis entraîné par le charme et la douceur de ton langage qui me rappelle notre ancienne terre. C’est moi, quoiqu’on l’ait nié, qui livrai la belle Ghisola aux désirs impudiques du Marquis : mais je ne suis pas ici le seul Bolonais ; cette région en est si remplie que la Savéna et le Réno n’entendent pas autant que ces lieux répéter Sipa : pour t’en convaincre, rappelle-toi l’ignoble avarice qui nous est propre. » Il parlait encore, lorsqu’un démon le frappa violemment de son fouet, en disant : « Marche, vil corrupteur, il n’est pas ici de femmes à vendre. »

Je me rapprochai de mon guide, et nous arrivâmes sur un rocher qui