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CHANT DOUZIÈME

est Nessus, qui mourut pour la belle Déjanire, et se vengea lui-même après sa mort. Celui qui est au milieu, et dont tu peux remarquer la tête inclinée, est le grand Chiron qui nourrit Achille ; le dernier est Pholus, qui s’enflamma d’une si violente colère. Ces centaures, avec plus de mille autres, bordent la fosse et repoussent à coups de flèches les âmes plongées dans le sang, qui cherchent à en sortir plus que leur condamnation ne le permet. » Nous nous approchâmes de ces monstres agiles : alors Chiron, prenant un trait, releva sa barbe touffue avec la coche, et dit à ses compagnons : « Vous êtes-vous aperçus que celui qui est derrière l’autre donne le mouvement à ce qu’il touche ? les pieds des morts n’ont pas cette faculté. »

Mon guide, qui était déjà arrivé près de Chiron, à la hauteur de sa poitrine, où se réunissent les deux natures, lui répondit : « Oui, il est vivant ; j’ai été chargé seul de le guider dans le noir abîme. C’est la nécessité et non le plaisir qui le conduit ici. Une femme céleste a suspendu ses chants divins, pour me commettre cet office nouveau. Cet être n’est pas un brigand, et moi je n’ai jamais été une âme coupable : toi, au nom de cette vertu qui a dirigé mes pas dans ce chemin ténébreux, donne-nous un des tiens qui nous accompagne, qui nous montre un gué facile, et qui porte celui-ci sur ses épaules : mon compagnon n’est pas un esprit qui vole dans l’air. »

Chiron, se tournant à droite, dit à Nessus : « Toi, guide-les, et fais éloigner les autres centaures qui pourraient se trouver sur leur passage. » Avec cette escorte fidèle, nous nous mettons en marche le long du fleuve de sang bouillonnant où les damnés poussaient d’horribles cris. Plusieurs étaient plongés jusqu’aux cils des paupières.

Le centaure nous dit : « Ce sont les tyrans qui répandirent le sang et s’enrichirent de rapines ; ici ils expient leur insatiable cupidité. Là est Alexandre, ici le cruel Denis qui frappa la Sicile de tant d’années de douleurs. Cette tête couverte d’une chevelure noire est celle d’Ezzelino ; l’autre, couverte de cheveux blonds, est celle d’Obizzo d’Est : un fils parricide (c’est bien la vérité) a tranché la vie de ce dernier. » J’avais regardé le poète ; il me dit : « Écoute Nessus, il t’instruira le premier : je ne puis être maintenant que ton second interprète. » Peu après, le centaure s’arrêta devant une foule d’ombres qui avaient toute la tête hors du fleuve écumeux, et nous montra une âme placée à l’écart, en nous disant : « Celui-ci perça, en la présence de Dieu, le cœur que l’on honore sur les bords de la Tamise. » Je vis d’autres âmes qui tenaient hors du fleuve la tête et