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CHANT HUITIÈME

éternel, dont elles sont pénétrées, qui leur donne la couleur rougeâtre que tu remarques dans cette partie plus basse de l’Enfer. »

Nous approchâmes des hauts retranchements qui entourent cette terre de désolation dont les murs paraissaient de fer. Ce ne fut qu’après quelques détours que nous atteignîmes un point où le nocher nous cria d’une voix forte : « Sortez, voilà l’entrée. » Auprès des portes, plus de mille de ces rebelles, tombés en pluie, du ciel, disaient avec fureur : « Mais quel est donc celui qui, sans la mort, s’avance dans son empire ? » Mon guide les prévint, par un signe, qu’il voulait leur parler secrètement. Leur fureur effroyable se calma, et ils répondirent : « Toi, viens ici sans lui, et qu’il se retire, cet autre qui a été assez audacieux pour entrer dans ce royaume ! qu’il s’en retourne seul à travers les sentiers pénibles de ces régions ténébreuses ; qu’il essaye de retrouver la route, s’il le peut ! Tu resteras parmi nous, toi qui as eu l’imprudence de le guider dans ces contrées obscures. » Juge, ô lecteur ! si je ne dus pas perdre tout courage, en entendant ces paroles cruelles ! Je craignis de ne pouvoir jamais retourner sur la terre. Je dis alors : « Ô mon guide chéri, qui m’as rassuré tant de fois, toi qui m’as arraché au plus imminent danger, ne m’abandonne pas ; et s’il m’est défendu d’avancer encore, recherche rapidement avec moi les traces de nos pas.

« Ne crains, rien, me répondit-il, un être surnaturel nous a permis solennellement de parcourir ces enceintes. Aucune puissance n’a le droit de nous interdire le passage. Attends-moi ici, reprends courage, conçois une vive espérance. Je ne t’abandonnerai pas dans ce monde de larmes. »

À ces mots, ce généreux père me quitte en me laissant en proie au oui et au non qui se débattent dans ma tête. Je ne pus entendre ce que mon guide dit aux rebelles. Il resta peu de temps auprès d’eux ; bientôt nos ennemis rentrèrent dans leurs retranchements avec la plus grande vitesse, et refermèrent violemment les portes sur mon maître, qui revint à moi en marchant à pas lents ; il baissait à terre ses yeux qui n’annonçaient plus l’espérance, et, en soupirant, il disait : « Qui m’a donc refusé l’entrée de la vallée des douleurs ! Et toi, continua-t-il, rappelle ton courage ; que mon indignation n’abatte pas ton assurance ! je vaincrai leur présomption, quelle que soit la résistance qu’ils préparent : cette insolence n’est pas nouvelle. Ils ont déjà tenté un effort non moins outrageant, à cette porte où tu as lu l’inscription de mort, et qui, encore aujourd’hui, présente ses gonds fracassés. Mais déjà s’avance seul et sans guide, à travers les cercles, celui qui doit punir l’audace de ces démons, et nous ouvrir les portes de cet empire. »