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Béatrix, qui jugea que je ne pouvais plus rien apercevoir, me dit alors : « Baisse ta vue, et remarque comme tu as tourné toi-même. »

Je reconnus que depuis le moment où j’avais regardé la terre pour la première fois, j’avais parcouru tout l’arc d’une moitié du premier climat ; je voyais, au delà de Gade, ce passage que le téméraire Ulysse tenta de franchir ; et en deçà, le rivage sur lequel Europe devint un si doux fardeau.

J’aurais encore découvert une plus grande partie de ce point imperceptible ; mais le soleil était éloigné de moi de l’espace d’un signe. Mon esprit embrasé de charité, qui brûle du plus tendre amour pour ma Béatrix, s’enflammait plus que jamais du désir de reporter ma vue sur elle.

Si la nature, dans le corps humain, et l’art, dans ses peintures, produisent des appâts qui attirent nos yeux, pour arriver à notre cœur, tous ces attraits réunis ne seraient rien devant le plaisir divin qui m’enivra de nouveau, lorsque je me retournai vers son visage riant.

La vertu que me communiqua son regard me détacha du signe cher à Leda, et m’enleva jusqu’au ciel qui a le plus de vélocité. Les points de cette sphère, plus lucides et plus prompts à se mouvoir, sont si uniformes, que je ne sais pas dans quelle partie me plaça Béatrix.

Elle voyait mon inquiétude, et alors, avec un visage si joyeux que Dieu y paraissait empreint, elle commença ainsi : « La nature du monde qui veut qu’au milieu il y ait repos, et que tout le reste soit en mouvement, trouve ici son unique principe : ce ciel n’a pas d’autre point où il s’arrête que l’entendement divin qui l’embrase de cet amour dont il reçoit le mouvement, et de cette vertu d’où émanent différentes influences.

« Un cercle de lumière et d’amour entoure ce ciel comme les autres ; mais d’ailleurs il n’est compris que de Dieu, qui le contient dans son immensité. Le premier Mobile ne reçoit aucune autre impulsion. Les autres sphères reçoivent la sienne, comme le nombre dix renferme la moitié et la cinquième partie de ce nombre. Actuellement il peut t’être prouvé que le Temps tient ses racines dans un tel vase et ses feuilles dans les autres sphères.

« Ô cupidité, qui asservis tellement les mortels, qu’aucun n’a la force d’élever ses yeux au delà de cette mer ! La volonté des hommes présente quelquefois des fleurs ; mais la pluie continuelle abâtardit les bons fruits. On ne trouve l’innocence et la sincérité que chez les enfants ; et ces vertus disparaissent avant que le premier duvet ait couvert les joues.