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L’homme arraché au sommeil par une vive lumière qui frappe tout à coup ses yeux, de membranes en membranes, abhorre cette splendeur, tant il est ébloui dans son réveil subit, jusqu’à ce que son jugement lui apporte du secours ; de même Béatrix, par les rayons qui sortaient de sa vue, et qui brillaient à plus de mille milles, dissipa les ténèbres où m’avait jeté tant d’éclat.

Bientôt revenu à moi, tout étonné, je demandai le nom d’une quatrième lumière que j’apercevais avec nous. Ma Dame me dit : « Dans ces rayons, la première âme que la première vertu ait créée contemple avec joie son créateur. »

Comme la feuille que la force du vent fait incliner, et qui reprend ensuite la place qu’elle avait auparavant, par l’effet de la puissance qui la tient suspendue, je m’inclinai plein d’admiration à ces mots de Béatrix ; mais un désir d’interroger me rendit mon courage.

Je commençai ainsi : « Ô fruit qui naquis dans l’état de maturité, ô antique père des humains, toi qui vois une fille et une bru dans chaque épouse, je te conjure, aussi dévotement que je puis, de me parler ! Tu conçois le désir que j’ai de t’entendre. Je ne dis plus rien, pour que tu me répondes plus tôt. »

Tel qu’un animal, sous une couverture, s’émeut de manière que ses caresses se reconnaissent au mouvement de cette couverture qui s’agite, telle la première âme, sous la lumière qui la couvrait, me faisait comprendre qu’elle se plaisait joyeusement à me satisfaire.

Elle s’exprima ainsi : « Sans que tu m’aies manifesté ta volonté, je la discerne mieux que tu ne discernes toi-même ce qui te paraît le plus certain, parce que je la vois dans ce miroir que rien n’éclaire, et qui réfléchit toutes choses.

« Tu veux savoir quand Dieu me plaça au milieu de ce sublime jardin, où celle-ci te disposa à franchir de si hauts degrés ; combien de temps ce jardin me fut cher ; quelle fut la cause du grand dédain ; enfin quelle langue je parlai à cette époque. Mon fils, ce n’est pas pour avoir goûté du fruit mais pour avoir oublié la promesse, que je fus condamné à un tel exil. De l’endroit d’où ta femme chérie a mis en mouvement Virgile, je désirai ce séjour où tu me vois, pendant quatre mille trois cent deux révolutions du soleil. Cet astre parcourut deux cent trente fois les signes qui sont sur sa route, pendant que j’habitai la terre.

La langue que je parlais s’éteignit, avant que la race de Nembrod