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vertu qu’avait la main d’Ananias. » Je répondis : « Qu’à son gré, que tôt ou tard elle apporte un remède à ces yeux, qui furent les portes par lesquelles elle entra avec le feu dont je brûle ! Le bien, qui a béatifié toute cette cour, est l’Alpha et l’Oméga de ce que l’amour me dicte de facile ou de difficile à exécuter. »

L’esprit qui m’avait déjà une fois rassuré sur mon subit éblouissement, m’adressa une autre fois la parole et me dit : « Il faut raffiner à un van plus étroit. Tu dois déclarer qui a dirigé ton arc vers un but si sublime. »

Je répondis : « C’est par des arguments philosophiques, et par l’autorité qui descend du ciel, que cet amour s’exprime en moi. Le bien, aussitôt qu’on le conçoit, excite d’autant plus la charité, qu’il participe plus à la bonté divine ; aussi le cœur de celui qui connaît clairement la vérité de l’excellence de ce bien, doit nécessairement aimer l’essence qui surpasse toutes les autres en perfection, puisque, hors de cette même essence, il n’y a qu’un rayon de sa lumière.

Cette vérité m’est encore enseignée par celui qui me démontre le premier amour des substances éternelles ; je l’apprends encore par les paroles de celui qui est la vérité même, et qui dit à Moïse, en parlant de soi : « Je te ferai voir la première valeur. » Tu me la prouves aussi, toi qui as publié des mystères sacrés avec une voix si éloquente. »

L’esprit répliqua : « En suivant pour guide l’intelligence des hommes, et l’autorité qui appuie ces raisonnements, aime donc Dieu avec la plus tendre préférence. Mais dis-moi encore si tu sens que d’autres attraits te portent vers Dieu, et avoue-moi quels sont les aiguillons mordants qui t’excitent à cette tendresse. » Je devinai sur-le-champ la sainte intention de l’aigle du Christ, et je prévis bien jusqu’où il voulait amener ma profession de foi.

Je continuai en ces termes : « Tous les aiguillons qui peuvent exciter à aimer Dieu ont aidé ma charité. Ce monde créé pour nous, cette existence qui m’a été donnée, cette mort soufferte pour que je vive, le ciel que tout fidèle comme moi espère obtenir, enfin les lumières de la raison et de la foi, m’ont éloigné de la mer du mauvais amour, et m’ont amené au port de l’amour droit. J’aime donc les plantes que cultive le jardinier éternel, suivant le mérite qu’il leur a communiqué. »

Je me tus à ces mots. Alors un doux chant se fit entendre dans le ciel. Ma Dame répéta avec les autres esprits : « Ô saint, ô saint, ô saint ! »