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fais de tes yeux un miroir où se retrace fidèlement la figure qui va t’apparaître. »

Si l’on se souvient du plaisir que j’éprouvais à contempler le visage bienheureux, on comprendra la joie que j’eus de suivre ses ordres, et de m’occuper d’un autre soin, en balançant la privation de ne plus voir mon escorte céleste, par le bonheur de lui obéir. Dans ce cristal pur qui tourne autour du Monde, et porte le nom d’un roi bienfaisant, sous le règne duquel toute malice était morte, je vis sur une échelle droite des lignes de couleur d’or, traversées des rayons du soleil, et si éblouissantes, que mes yeux ne pouvaient s’y arrêter.

Une grande quantité de saintes lueurs descendaient de ses échelons, et je crus que toutes celles qui habitaient le ciel y étaient réunies.

Ainsi que les corneilles, suivant leur coutume naturelle, au commencement du jour, se mettent en mouvement pour réchauffer leur corps engourdi par le froid de la nuit ; les unes prennent leur vol pour ne plus reparaître ; les autres reviennent au point d’où elles sont parties ; d’autres enfin s’agitent en tournoyant, à la place même qu’elles occupent : telles me parurent ces lueurs sacrées, qui se livraient à de semblables mouvements, sans dépasser un échelon déterminé.

Une d’elles, qui était la plus rapprochée de nous, me parut si éclatante que je disais en moi-même : Je comprends bien à présent la charité que tu m’annonces ; mais Béatrix, à qui il appartient de me permettre de parler ou d’ordonner que je me taise, garde le silence, et, malgré le désir qui me tourmente, j’agis sagement en ne lui adressant pas de demandes.

Béatrix voyait en Dieu, qui voit tout, quelle était ma pensée, et elle me dit : « Satisfais ton ardent désir. »

Je commençai ainsi : « Âme bienfaisante, qui es recouverte de l’ardente lumière de ta charité, mon peu de mérite ne me rend pas digne d’une réponse ; mais, au nom de la femme qui me permet de te parler, dis-moi aussi pourquoi se tait, dans cette sphère, la douce symphonie qui se fait entendre si délicieusement, plus bas dans les autres parties du Paradis. »

L’âme répondit : « Tu vois et tu entends comme un mortel ; ici on ne chante pas, parce que Béatrix n’a pas de sourire. Je ne suis descendue par les degrés de l’échelle sainte que pour te faire honneur, en te parlant et en te montrant l’éclat qui m’enveloppe.

« Ce n’est pas qu’une charité plus vive soit en moi, car ici quelques âmes brûlent d’un amour pareil au mien, et d’autres brûlent d’un plus grand