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pas, lorsque ses yeux vinrent frapper mes yeux, et elle me dit, d’un son de voix doux : « Marche près de moi, pour que tu puisses m’écouter plus facilement si je viens à te parler. »

Quand je me fus rapproché d’elle comme je le devais, elle ajouta : « Mon frère, pourquoi, venant ainsi avec moi, ne te hasardes-tu pas à m’interroger ? »

Tel que ceux qui, pénétrés de respect en parlant à leur supérieur, ne peuvent articuler que des paroles entre les dents, je commençai ainsi d’un son de voix entrecoupée : « Sainte femme, vous connaissez les désirs de mon âme et ce qui peut les satisfaire. »

« Je veux, répondit-elle, que tu te dépouilles de toute honte et de toute crainte, et que tu ne parles pas comme un homme qui rêve ; écoute : le fond du char que le serpent a percé de sa queue a existé, mais n’existe plus : celui qui est la cause de sa ruine doit croire que la vengeance de Dieu ne craint pas les soupes.

« Elle ne sera pas toujours sans héritier de sa gloire l’aigle qui a laissé ses plumes dans le char, qui en a fait d’abord un être monstrueux, et ensuite la proie de ses ennemis. Je vois d’avance, et je le prédis comme un événement prochain, qu’il naîtra des étoiles propices et qu’elles amèneront une époque dont aucune résistance ne pourra arrêter l’influence éternelle, et où le nombre cinq cent dix et cinq, envoyé de Dieu, détruira la prostituée et le géant qui s’est rendu coupable avec elle. Peut-être ne comprends-tu pas ma prédiction, parce que, semblable à celle de Thémis et du Sphinx, elle est couverte d’un voile impénétrable pour toi ; mais bientôt les faits seront d’autres naïades qui expliqueront cette énigme obscure, sans crainte pour leurs troupeaux et leurs moissons. Souviens-toi de mes paroles ; reporte-les, telles que je te les confie, à ceux qui jouissent de cette vie qui est un courir vers la mort ; et quand tu les écriras, n’oublie pas de dire dans quel état est l’arbre que tu as vu attaquer deux fois.

« Quiconque détruit ses fleurs ou rompt son écorce, offense Dieu par un blasphème de fait ; car Dieu l’a créé saint pour son seul usage. La première âme qui a mordu le fruit, a dû attendre, dans la peine et dans le désir, pendant plus de cinq mille ans, le Sauveur, qui, par sa mort, a satisfait pour ce qu’un autre avait mordu.

« Tu es privé de sens, si tu ne comprends pas que c’est par une cause mystérieuse que cet arbre est si élevé et si étendu vers la cime. Si de vaines pensées n’eussent produit sur ton esprit l’effet des eaux de l’Elsa, si de